Chronique d’un problème sans fin

Mellifera non gratta

Et si cette sombre période pour l’apiculture polynésienne et en particulier pour les abeilles était l’occasion de revenir sur un débat de fond concernant les campagnes de pulvérisations à la Deltaméthrine. L’histoire commence toujours de la même manière. Un épisode de Dengue, type 2 dans le cas présent, touche la Polynésie. Afin d’endiguer une épidémie potentielle, la solution est toute trouvée ; un traitement insecticide puissant ayant pour objectif d’exterminer tous les moustiques sur des zones déterminées par la Direction de la santé, au cœur des foyers de contamination, et extensibles à merci.

L’inconvénient est que ce produit, la deltaméthrine utilise un composé chimique de la famille des pyréthrinoïdes qui ne fait pas dans le détail. Des études listent nombre d’effets indésirables pour l’homme tels que vomissement,  sensations cutanées anormales, picotements, des brûlures au visage 30 min à 3 h après une exposition cutanée professionnelle ou accidentelle, vertiges, des maux de tête et des nausées et vomissements, avec parfois des paresthésies, palpitations, une oppression thoracique (He et al. 1989), pouvant aller jusqu’aux convulsions et coma dans certains cas rares selon Gotoh (1998) et Yang et al. (2002)…

Pour les insectes et en particulier, nos chères abeilles, les conséquences sont beaucoup plus claires. La dose létale moyenne aigüe (LT50)  par contact est de 0,067 µg/abeille. Autant dire, qu’une colonie en zone de traitement n’a aucune chance de s’en sortir si des mesures d’éloignement ou de confinement efficaces de la ruche ne sont pas prises. Des apiculteurs de Hiva Oa en ont fait l’amère expérience il y a peu, suite à une pulvérisation n’ayant pas fait l’objet de préavis (11 ruches impactées aux dernières observations).

Les apiculteurs sont des citoyens responsables et savent que la santé de l’homme passe avant celle des abeilles, et ce n’est pas négociable. Ce n’est d’ailleurs jamais leur propos, contrairement à ce qu’aimeraient bien soutenir certains responsables en charge de la salubrité publique. Mais le bon sens doit l’emporter, car si la santé de l’homme est au cœur de ces traitements, alors on doit s’interroger sur l’utilisation même de ce produit aux effets indésirables, pour ces mêmes hommes et déjà évoqués.  Si la santé de l’homme est au cœur de ces traitements, alors il faut s’interroger sur les résistances du moustique et ses mutations qui annihilent les effets du produit dans le temps, réduisent la mortalité des moustiques et laissent leurs foyers se développer en même temps que l’épidémie. Ne laissant, las, une sensation de devoir accompli qu’aux seuls ordonnateurs de ces campagnes, persuadés d’avoir brillamment agi pour la cause humaine.

Des méthodes de lutte plus respectueuses de l’homme et de l’environnement sont plébiscitées par les apiculteurs, mais aussi les citoyens soucieux de leur propre santé et de celle de leur progéniture. A commencer par le dégîtage, geste citoyen qui consiste à éliminer les zones sauvages d’eau stagnantes chez soi. Il serait, à n’en pas douter un des plus efficaces pour peu que chacun se responsabilise. D’autres méthodes ont été testées comme le piégeage dans des gîtes artificiels, la stérilisation des mâles, la lutte biologique avec des bactéries du moustique…Autant de solution prometteuses et parfois adopté (Brésil, France, Nouvelle Calédonie…)

En cette période ou les enjeux environnementaux deviennent un priorité pour les citoyens, que le monde entier vocifère à l’évocation de la mise à mort des pollinisateurs, indispensables à la vie des hommes, difficile d’imaginer que nous soyons parmi les derniers à penser que la chimie est LA solution d’avenir. Mieux, certains responsables des services en charge de la biosécurité et de la Direction de la santé, nous « suggèrent » une réflexion sur la légifération pour le retrait des ruches des zones urbaines. In-croy-able ! A quand des panneaux « abeilles interdites » à l’entrée de nos agglomérations ? Chut ! Nous serions la risée du monde entier, si cette idée venait à sortir de notre Fenua. Quand on sait  que nos avettes parcourent jusqu’à 3 km pour aller butiner…Il va falloir repousser très loin les ruchers dans la montagne et bientôt aller récolter en hélicoptère. A l’heure où les grandes villes du monde favorisent le rétablissement des espaces verts et des insectes pollinisateurs, nous choisirions de les écarter pour pouvoir enfin pulvériser tranquillement sans être inquiétés par ses empêcheurs de sulfater en rond d’apiculteurs. Un joyeux contre-pied international dont nous avons le secret. Bref, on le voit, la perception des pouvoirs publics pour la résolution de ce problème ne semble pas laisser entrevoir de solution pérenne à court terme…Alors chers éleveurs et en attendant des jours meilleurs, continuons à déplacer, calfeutrer et brûler nos abeilles mortes car le montant de nos indemnisations n’incite, de toute façon pas, à changer la méthode.

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